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arts, société

James Ensor à l’Institut Néerlandais

Par Hans Vanacker, traduit par Jean-Marie Jacquet
21 mai 2021 5 min. temps de lecture Pleins feux sur Ensor

À partir de maintenant, la série Septentrion quinquagénaire
prend une tournure quelque peu différente. Les textes sont désormais rédigés à la première personne. L’auteur de la série a en effet rejoint au milieu de l’année 1989 l’équipe de Ons Erfdeel vzw. Il y est devenu responsable du secrétariat de la rédaction et responsable de rédaction de Septentrion. C’est en tant que témoin oculaire qu’il écrit le présent article et les suivants. Accompagnons-le ici dans les premiers mois de 1990 pour un voyage à Paris.

Quel changement dans le monde depuis que j’avais entamé mes navettes quotidiennes entre Gand et Rekkem, la petite cité à la frontière belgo-française! Rien à voir, cependant, avec l’autoroute et ses encombrements. Ni avec le collègue que j’emmenais généralement et qui ricanait chaque fois que j’étais une demi-minute en retard au rendez-vous. C’est qu’il fallait arriver à Rekkem avant que sonne cette fichue cloche. Une course quotidienne contre la montre.

En novembre et décembre 1989 s’était produit ce qui, peu de temps auparavant encore, paraissait impensable. D’abord le mur de Berlin était tombé, puis les régimes de ce qui s’appelait encore bloc de l’Est avaient, l’un après l’autre, connu un sort semblable. L’Europe et, par extension, la planète entière présentaient un nouveau visage et étaient presque aussitôt gagnées par un optimisme débridé.

C’est avec cette atmosphère nouvelle et motivante comme toile de fond que je me suis trouvé plongé dans les exigences et l’éthique du travail à Rekkem. D’emblée se profilait un beau projet, dans lequel Septentrion était appelé à jouer un rôle important. Au Petit Palais à Paris allait se tenir une grande exposition James Ensor. Le peintre ostendais James Ensor (1860-1949) était l’un des principaux si pas le principal novateur de l’art moderne en Belgique, et notamment connu du grand public pour ses toiles montrant des personnages chez qui des masques tenaient lieu de visage. Pour l’une ou l’autre raison, la réputation d’Ensor n’avait pas vraiment touché la France. L’exposition du Petit Palais allait y remédier une fois pour toutes. Et, quand on connaît le fondateur et ancien rédacteur en chef Jozef Deleu, on ne peut être surpris que Septentrion ait habilement sauté dans le train en marche.

Le dossier James Ensor dans le n° 1 / 1990 de Septentrion reste captivant par sa diversité et son intérêt. Les articles de ce dossier sont toujours à conseiller à toute personne qui veut faire connaissance avec l’artiste et en apprendre davantage sur l’influence qu’il a exercée dans les arts plastiques et en dehors. Après tant d’années, je viens de relire avec beaucoup de plaisir l’article consacré à Michel de Ghelderode, «le plus ensorien des écrivains de Belgique».

Son auteur était un homme aussi affable qu’érudit, Roland Beyen, professeur de littérature française à la Katholieke Universiteit Leuven. Captivante également était la contribution d’Anne Marie Musschoot, professeur de littérature de langue néerlandaise à l’université de Gand, qui avait cherché à repérer les influences d’Ensor dans la poésie néerlandaise moderne et contemporaine. Le résultat? Excusez du peu: son article et le florilège qui l’accompagnait allaient faire une large place à quatre poètes: Hugo Claus (1929-2008), Stefan Hertmans (°1951), Geert van Istendael (°1947) et Dirk Van Bastelaere (°1960).

Cela m’amène à un événement qui m’a sérieusement occupé au début de 1990. Le 22 mars, Septentrion organisait à l’Institut Néerlandais, le prestigieux établissement de la rue de Lille à Paris, la soirée Poésie au pays d’Ensor. L’Institut traversait alors une période de crise, car les Pays-Bas souhaitaient (déjà!) fermer leur maison culturelle située au cœur de la capitale française. S’il n’en a rien été, c’est principalement grâce à trois membres de la Seconde Chambre des Pays-Bas qui ont pris la chose à cœur, parmi lesquels le regretté Frits Niessen, le très actif rédacteur en chef adjoint néerlandais de Septentrion.

Mais je me suis un peu écarté du sujet, j’en suis conscient. Revenons à Poésie au pays d’Ensor. Une soirée qui devait absolument être une réussite, on me l’a fait comprendre à plusieurs reprises. Pendant les préparatifs, personne n’a ménagé son temps ni sa peine. Il fallait à tout prix que les deux salles de l’Institut soient pleines à craquer. Le programme, en tout cas, était alléchant. Depuis la parution de son roman Le Chagrin des Belges (brillante traduction due à Alain van Crugten), Hugo Claus était connu à Paris. À ses côtés seraient présentés trois autres poètes de talent: Stefan Hertmans, Geert van Istendael et Dirk Van Bastelaere. Le premier d’entre eux allait au fil des années, lui aussi, même si c’était surtout en tant que romancier, se faire un nom auprès du public francophone.

Le succès, ce soir-là, était bel et bien au rendez-vous. Je ne sais si la directrice ad interim d’alors de l’Institut Néerlandais s’en est également félicitée. Dans les salles où avaient lieu la séance littéraire et la réception étaient accrochées des œuvres d’un grand peintre néerlandais contemporain (veuillez m’excuser d’avoir oublié son nom). Il était fort à craindre que des visiteurs indélicats n’abîment les toiles. On lisait dans le regard du personnel de l’Institut de l’inquiétude, voire de l’angoisse.

Quoi qu’il en soit, rarement un événement à l’Institut Néerlandais aura suscité plus d’engouement que cette soirée de poésie du 22 mars 1990. Un Français d’un certain âge s’est irrité de ne pas trouver de place assise. Tous les sièges étaient occupés, et il n’était pas possible d’en ajouter. Le pauvre homme, furieux, l’a fait savoir en élevant (un peu trop) la voix et avec force gestes. Vous me croirez ou non: aux oreilles du jeune secrétaire que j’étais, ces éclats sonnaient presque comme de la musique.

HV

Hans Vanacker

secrétaire de rédaction de Septentrion

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